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S2 - Chapitre 39 - Le chemin de l'ostal

L'automobile ralentit et s'arrêta à la hauteur de la jeune fille qui marchait au bord de la route. Elle tenait un petit sac qui devait contenir quelques affaires et sa main gauche était enfouie au fond de la poche de son manteau sans doute pour ne pas l'abandonner aux morsures du froid vif qui régnait sur le Lauragais en février.


Le conducteur se pencha, s'accouda sur le siège passager, ouvrit comme il le put la vitre et demanda :


— Vous allez loin ? Je peux vous rapprocher ?

— Ce ne serait pas de refus. Je vais à Florac...

— C'est ma direction. Montez ! Montez donc ! Mais je vous laisserai en bas de la route, je ne passe pas par le village, je suis un peu pressé.

— C'est déjà beaucoup et ça ira très bien ! Merci, dit timidement la jeune fille en s'installant aux côtés du conducteur.


L'homme, la petite quarantaine, portait une casquette de laine. Il était emmitouflé dans une grosse veste surmontée d'une écharpe épaisse d'où ne dépassaient que son nez et ses yeux noirs luisants. La jeune fille comprit rapidement pourquoi. La vieille traction avant dans laquelle elle avait pris place laissait filer l'air en de nombreux endroits qui auraient pourtant dû être hermétiques. La carrosserie cabossée lâchait des bruits métalliques à intervalles réguliers. Quant au moteur, il vrombissait tellement qu'il en était assourdissant et il fallait parler fort pour se faire entendre lors des accélérations. Le véhicule avait fait la guerre.


— Et croyez-moi, la concernant, ce n'est pas une expression ! s'amusa le conducteur.


Elle sourit en regardant les plaies béantes dans le métal, cernées de points de rouille.


— Vous voyagez ? demanda l'homme pour engager la conversation.


Non, la jeune fille ne voyageait pas : Hélène rentrait.


— Je... je m'étais juste absentée quelques temps.

— Et vous retournez chez vous... Vous étiez en visite je parie ? Dans la famille ?

— Non. Non. On ne peut pas appeler ça comme ça... Je poursuivais quelque chose...Enfon, on ne peut pas dire ça comme ça, c'est compliqué...

— Et vous l'avez rattrapé ?

— Je n'en suis pas sûre. Non.


Elle avait gardé sa main dans la poche de son manteau. Il semblait qu'elle y tînt un trésor, un élément si précieux qu'elle ne pouvait pas le lâcher. A aucun instant. Voyant que la jeune fille n'était guère bavarde, le chauffeur renonça à la questionner plus avant. il laissa le bruit du moteur prendre toute la place.


Sans le savoir, après l'avoir saluée, il la déposa à la croisée des chemins. Elle le remercia aussi poliment qu'elle le put. Et quand la vieille traction se fut éloignée un peu, elle regarda le paysage autour d'elle. Elle se trouvait au bas de Florac, pas très loin de chez les Mandoul de Borde Basse. Si elle prenait cette direction, elle se retrouverait à la Borde Perdue en moins d'un quart d'heure, si elle partait à l'opposé, elle pourrait retrouver sa tante Louise à Montplaisir en à peine une dizaine de minutes après avoir traversé le village. Hélène hésita un long moment. Elle se sentait désormais bien seule et la peur de la réaction des siens lui nouait le ventre.





Miette et Virgile étaient assis à la grande table de la cuisine. Dans la cheminée, le feu s'éteignait mollement. Le petit garçon ânonnait un texte en suivant la ligne sur son livre de lecture du bout de son index. Miette, elle, écrivait une phrase à grand peine. Sur le cahier de brouillon posé à plat sur la table trop haute pour elle, elle traçait en tirant la langue des a successifs qui lui causaient grand peine.


— Et celui-là Louise ? C'est mieux ? demandait-elle de temps en temps.


La jeune femme qui surveillait les devoirs, bien que peu convaincue, s'évertuait à l'encourager.


— Tu as un peu négligé l'interligne, non ? Il n'est pas un peu trop dodu ce a tout de même ?


Miette haussait les épaules puis tâchait de tracer une nouvelle lettre plus conforme.


— Continue, je vais chercher du bois pour relancer le feu, lui dit Louise. On se gèle ici.


Lorsqu'elle eut récupéré des bûches sous le hangar, alors qu'elle revenait vers la maison, elle les laissa tomber à ses pieds. Elle n'en revenait pas de ce qu'elle voyait. Une silhouette était arrêtée sur le chemin et semblait regarder vers la borde. Certes la lumière du soir ne permettait pas de la distinguer avec précision mais elle l'aurait reconnue entre cent, entre mille : Hélène !

Elle courut aussi vite qu'elle le put. La croisant, Edmond et Anselme qui rentraient de s'occuper des bêtes se demandèrent par quel diable elle pouvait bien être poursuivie. Décidément, cette Louise était parfois bien fantasque.

Ils n'avaient pas vu la jeune fille sur le chemin. Louise étreignit Hélène qui, sous le choc, lâcha son paquetage.


— Te voilà ! Enfin, te voilà ! Mais où étais-tu ? Enfin tu es là !


Louise répétait cette formule en boucle comme pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas.


— Viens, viens, lui dit-elle en l'entraînant par le bras au bout d'un moment. Viens te réchauffer, Hélène.


Lorsqu'elles entrèrent dans la grande pièce, les enfants étaient toujours à leurs devoirs et Hélène n'avait pas encore prononcé un mot. Louise saisit une chaise la plaça al canton , au plus près du feu qui, au regard des événements, n'avait toujours pas été nourri, et y fit s'installer Hélène.


Miette qui avait relevé la tête à l'arrivée de la nouvelle venue s'exclama du haut de sa candeur :


— Oh ! Hélène est revenue ? Mais pourquoi tu pleures alors Louise ? Tu voulais tellement qu'elle revienne. Tu n'es pas contente ?


Louise renifla et s'essuya les yeux de l'extrémité de son tablier puis caressa la nuque de Miette :


— Si, Miette, si... c'est justement parce que je suis très heureuse que je pleure. Parfois quand l'émotion est trop forte, même lorsque c'est de la joie, tu vois...

— On est débordé ?

— Voilà... quelque chose comme ça...


Angelin, leur père, qui venait de rentrer de ses tâches, saisit l'importance du moment et prétexta :


— Allez, tous les deux, suivez-moi à l'étable. Je m'y suis installé pour commencer une corbeille. Vous allez m'aider un peu, je n'avance pas assez vite tout seul.

— Mais papa... tenta Virgile.

— Suivez-moi je vous dis... et pas de discussion, tonna-t-il faussement sévère.

— Je pourrai te faire passer les brins d'oser , demanda Miette en s'éloignant avec eux.


De longues secondes s'écoulèrent en silence, ponctuées seulement par la régularité métallique de la comtoise. Hélène avait peur des foudres de Louise quand Louise n'était même pas effleurée par une idée pareille. Sa main était encore au fond de la pocher de son manteau, son trésor entre les doigts.


— J'ai eu si peur de ne jamais te revoir, dit simplement Louise.

— Je ne vais peut-être pas rester, tu sais, tante Louise, furent ses premiers mots.


Elle se délecta du son de sa voix si longtemps attendue.


— Tu feras comme tu voudras mais non avons le temps...tu viens d'arriver... Si tu savais le sang d'encre que...


Louise s"interrompit, se mordit les lèvres. Non, elle ne voulait tomber ni dans les reproches ni dans la culpabilisation. Hélène était là, rien d'autre ne comptait plus. Ses cheveux emmêlés avaient pâti du voyage. Et ses pupilles dans lesquelles se reflétaient les flammes qui reprenaient vigueur lui donnaient l'air d'un petit animal traqué.


— J'ai bien failli ne jamais revenir. Je pensais que jamais vous ne me pardonneriez ce que j'ai fait. Et c'est peut-être le cas... Mais je ne me voyais pas vous laisser dans l'expectative et l'angoisse. Je ne l'ai que trop fait. Tu m'accordes ton pardon tantine ?

— Idiote... murmura Louise.

— Et à la borde, tu crois que...

— Evidemment ! Ils sont en survie depuis ton départ.

— Je n'ai pas osé les affronter en premier. Je me doutais que tu serais plus indulgente...


Louise attendit un temps avant de demander :


— Et Marcel ?


Hélène baissa la tête, ses épaules furent rapidement secouées de sanglots irrépressibles. Sa main gauche se crispa au fond de sa poche. Elles restèrent là un moment dans la pénombre sans rien dire, l'une pleurant, l'autre ne sachant comment lui procurer du réconfort.


— Nous en reparlerons, dit Louise. Ne t'inquiète pas pour ça. Pourquoi disais-tu que tu ne resterais peut-être pas ? A cause de nos réactions ?

— Non, Tante Louise, j'ai découvert que j'avais un don. quelque chose qui me plait beaucoup... et j'ai tant à apprendre.

— Qui te plaît ? Mais...

— J'ai rencontré quelqu'un qui m' montré comment soigner par les plantes. Elle m'a appris les secrets, elle trouve que je suis douée. Et...

— Quelle drôle d'idée, Hélène.

— J'étais sûre que vous réagiriez de cette façon, c'est aussi pour ça que j'hésitais à rentrer.


Elle était à vif, elle s'était emportée avec une fougue et une colère que Louise ne lui connaissait pas. elle ne voulait surtout pas l'effaroucher.


— Calme toi, Hélène. je ne voulais pas t'agacer. Tu m'expliqueras davantage. mais pas ce soir, tu es fatiguée, je le vois bien. Et moi... et moi... je suis très émue, ça me rend maladroite. Nous reparlerons de tout cela. Je vais te préparer un lit. Je suis sûr qu'Angelin n'y verra aucun inconvénient. Et demain... Demain, après avoir conduit les enfants à l'école, je t'accompagnerai à la Borde Perdue. Tu verras tout se passera bien... Je t'aiderai...


Hélène avait envie de croire sa tante.


— Mais tu dois avoir faim. On va passer à table. Je vais appeler les enfants et leur père et aussi les deux gredins, tu vas coir, ils sont très drôles, s'amusa-t-elle en évoquant Anselme et Edmond.


Hélène était de retour mais Louise sentait bien que les circonstances de cette réapparition étaient douloureuses et floues. La situation pouvait lui échapper à tout moment. Elle avait l'étrange sensation de marcher sur le fil du rasoir. Comme si Hélène était une autre que celle qu'elle avait connue avant son départ. Comme si cette escapade ayant pris des tours de voyage initiatique l'avait profondément chamboulée jusqu'à la changer.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le quarantième épisode de cette saison 2, intitulé "Quand l'enfant paraît"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog






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