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Conte d'été (2e partie) : L'horloge de Saint-Frisac

La semaine dernière, je vous ai proposé la première partie de ce conte. Vous pouvez la retrouver en cliquant ici.


On convoqua une énième réunion le soir à la fraîche sur la place devant l’église. C’est alors qu’une petite voix se détacha de la foule. C’était celle de Sylvain. Il était carillonneur depuis de si longues années qu’on avait oublié qu’il avait été jeune un jour.


— Qu’est-ce qu’il y a encore ? s’agaça le forgeron qui n’était pas commode.

— L’horloge du clocher est en panne.

— Nous le savons mais nous avons d’autres chats à fouetter actuellement et puis nous n’avons pas besoin d’heure puisqu’à Saint Frisac le temps n’avance plus.

— Deux pignons d’une roue dentée sont cassés, il faudrait la remplacer. Rien ne tourne plus rond sans ça.

— Puisqu’on te dit qu’on verra plus tard

— Eh bien moi je me demande si le temps ne s’est pas arrêté parce que l’horloge du clocher de saint Frisac ne fonctionne plus.


Un rire tonitruant secoua l’assemblée. On traita même Sylvain de poète ! De Jean de la Lune ! De rêveur !

— Tu prends les choses à l’envers ! Les Hommes ont inventé ces machines pour mesurer le temps et pas l’inverse. Enfin ! Un peu de bon sens.

— Moi, ce que j’en dis, reprit le carillonneur, c’est que j’ai remarqué que depuis que l’horloge du clocher est en panne, plus rien ne se passe. Ça fait trois semaines que je réclame qu’on aille le dire à l’horloger et que personne n’en a cure. Je propose une solution maintenant si tout le monde s’en moque…`

— On ne te dit pas qu’on s’en moque, on te dit qu’on a plus urgent…

La vieille Adèle trancha pourtant.

— On ne risque rien à essayer. Juste une visite de l’horloger qui aura au moins la vertu de réparer ce mécanisme.







Sa voix porta, le silence se fit mais nul dans l’assemblée n’y croyait. Il fut décidé d’envoyer quelqu’un à la ville dès le lendemain pour commander l’horloger. Le sort, un peu aidé, désigna Pitraque qui grommela, protesta et essaya bien de refuser.

— Tu es le seul ici à posséder un cheval, lui rappela Adèle.

Aussi, dès le lendemain, les sabots ferrés du canasson laissaient des traces en U sur le chemin en tirant la carriole de Pitraque. La boutique de l’horloger était dans la rue principale. Devant la demande de l’homme de Saint-Frisac, le type chipota, renâcla, chercha des prétextes. Mais Pitraque insista. L’horloger avoua qu’il avait entendu parler de la malédiction de Saint-Frisac et qu’il préférait attendre un peu avant de programmer sa venue.

Pitraque sut pourtant trouver des arguments convaincants et flatteurs, relatifs à sa réputation et l’horloger accepta de monter dans la carriole, non sans avoir glissé par précaution une tête d’ail au fond de la poche de son pardessus.

L’accès au clocher fut des plus complexes, l’horloger refusa d’abord de grimper au prétexte que le système d’horlogerie était placé beaucoup trop haut sur le clocher mur. La population qui s’était massée là à l’ombre des cerisiers et des tilleuls pour observer la scène ne l’entendit pas de cette oreille et une rumeur hostile monta du groupe. On réunit tout ce que le hameau comportait d’échelles, de barrière et de planches pour élaborer un échafaudage brinquebalant auquel l’horloger n’eut d’autre choix que de monter face à la fronde populaire. Ainsi perché il commença à démonter le mécanisme pour atteindre la roue édentée. Ses sourcils, par instants, montaient très haut sur son front pour se confondre presque avec ses cheveux clairsemés. L’inquiétude gagna le pied des arbres car en contrebas, on voyait bien lorsqu’il se retournait pour fouiller dans sa sacoche accrochée à un échelon l’air dubitatif du spécialiste.


Tous restèrent, se protégeant du soleil sous les arbres, tant que l’opération dura. Et elle dura. De longues heures qu’on ne put mesurer en raison de la panne. Une rumeur parcourut la maigre foule : l’horloger était en échec. Il n’y parviendrait pas. Il profitait cependant des conseils du carillonneur, celui qui connaissait le mieux non seulement le clocher, les cloches mais aussi l’horloge.


Enfin, lorsqu’il eut remplacé la pièce, replacé le cadran et revissé les aiguilles, l’horloge se mit à sonner. Alors, un cri s’échappa de sous les arbres :

— J’en ai une !

C’était Antonin qui tenait, triomphant, entre index et pouce une cerise mûre. Une cerise d’un rouge vermillon qu’on avait eu peur de ne plus revoir à Saint-Frisac.

— Elle était sous mes yeux, elle est passée du vert au rouge à l’instant, dès les premiers tic-tac ! C’est un miracle ! Cet horloger fait des miracles.

— Tu es fada ! rétorqua le forgeron.

— Je jure !

— Ne jure pas, ça porte malheur !

— Je vous l’avais bien dit ! je vous l’avais bien dit ! claironnait Sylvain le carillonneur en lançant les cloches de toutes ses forces qui virevoltaient et lançaient dans la campagne leur timbre de bronze.

Ainsi, sans qu’on sut pour quelle raison et de ce jour, les choses reprirent leur cours à Saint-Frisac. Il fut rapidement temps de faucher l’esparcette, le blé alors en herbe fit une poussée telle que l’épi se devina bientôt et il fallut récolter les guignes rapidement.

Une fête fut organisée à laquelle on convia l’horloger porté en héros. Tandis que Sylvain répétait sans se lasser :

— Je vous l’avais bien dit !


On la réitéra chaque année à la même période pour ne pas oublier que, dans un tout petit hameau que personne ne saurait situer sur une carte aujourd’hui, pendant un moment, l’été s’était assoupi.


Fin


Parution du prochain roman le 25 octobre aux Editions du 38 : Le silence de la Combe


Vous pouvez visiter l'ensemble du site et avoir toutes les infos en cliquant ici : www.sebastiensaffon.com


Bel été !

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