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Un Noël de sorcière (Un Nadal de bruèissa) - Episode 2

Dernière mise à jour : 5 janv.

Pour retrouver le premier épisode de ce conte, suivez ce lien : https://www.bordeperdue.fr/post/un-noël-de-sorcière-un-nadal-de-bruèissa-episode-1

Voici aujourd'hui la suite :

Lorsque Jeannette se retourna la vieille femme était là qui se tenait près du tronc tortueux du vieil arbre.

— Mieux, beaucoup mieux… indiqua timidement la fillette en baissant les yeux vers les croûtes sombres qui se détachaient peu à peu de ses genoux.

— Ah mais tu parles donc ? dit la vieille femme.

— Ou.. oui. Je ne t’ai pas remerciée l’autre jour mais j’ai eu peur de toi.

— Tu es comme les autres. Tu penses que je suis une sorcière ?

— Tu n’en es pas une ?

— Je n’ai pas dit ça. Je m’appelle Rose.

L’enfant pensa qu’un nom de fleur ne convenait pas du tout pour un prénom de bruèissa.

— Et toi comment t’appelles-tu ?

— Je… Jeannette…

— Eh bien Jeannette, je suis contente de voir que tu vas mieux. Et maintenant tu devrais filer…

— Pourquoi ?

— Parce qu’on doit t’attendre chez toi. Non ?

— Et toi qui marches toujours par monts et par vaux, où habites-tu ? C'est où ton chez toi ?

— Tu es bien curieuse ! Je suis d’ici et d’ailleurs. J’habite une petite maison cachée dans le bois, là-bas, près du chemin que tu empruntes pour aller au village chaque jour. Elle est bien petite et pas très jolie mais amplement suffisante pour moi.

— Tu n’as pas froid les nuits d’hiver ?

— Ce que tu peux être agaçante avec tes questions…

— Et… Tu ne te sens pas seule ?

La vieille femme se rembrunit, Jeannette comprit qu’elle avait touché un point sensible. Mais Rose se reprit bien vite :

— Je ne suis jamais seule, quand je marche par les routes, les sentiers, la tête dans mes pensées c’est pour mieux me plonger dans mes mondes intérieurs.

— Tes mondes intérieurs ? répéta la petite fille soudain perplexe. E qu'es aquò ?





Rose en effet n’aimait rien tant que marcher toute la journée durant. Parfois était-ce pour relever ses collets dont les maigres captures lui servaient de repas frugal. Mais déambuler ainsi au milieu de la végétation désordonnée entre les haies d’arbrisseaux, de genets ou de cades et les bois sombres où elle récoltait quelques champignons à la saison lui permettait de rejoindre les abîmes de ses souvenirs les plus tristes – et pourtant elle n’y rechignait pas – ou les cimes que lui faisaient frôler les réminiscences de ses jours les plus heureux. Au creux de son esprit, elle retrouvait ainsi les siens, chaque fois qu’elle les convoquait.


— Là où je vais, vois-tu, ajouta-t-elle en direction de l’enfant, je ne peux emmener personne. Mais, mes souvenirs sont mon réconfort, ils me tiennent chaud au cœur et au corps. Mes fantômes sont mes plus fidèles compagnons.

— Mais tu n’es pas triste d’être seule ?

Rose appuya une épaule sur le tronc de l’arbre, réfléchit un instant.

— J’ai bâti un rempart autour de moi. Que personne ne peut franchir. Regarde mon visage fermé, regarde ces vêtements élimés, ce long manteau de laine usée, cette jupe noire aux bords déchirés. Crois-tu que cela donne à quiconque l’envie de m’adresser la parole ? Non. Et c’est tant mieux. On dit que je suis une brussèia ? Une masca ? Tant mieux là encore, la peur éloigne encore davantage les gens. D’ailleurs toi-même, tu devrais être effrayée ! Bouh !


Elle avait poussé ce dernier cri guttural en encadrant son visage déformé d’une affreuse grimace de ses mains repliées comme des serres. Jeannette, contre toute attente, éclata d’un rire sonore.

— Tu ne m’impressionnes plus, tu sais. Je vois mieux qui est derrière le rempart maintenant. Je te vois entourée de tes fantômes. Et ils ont l'air d'être aussi gentils que tu l'es !


Il y eut un silence. La vieille femme ne répondit pas, un peu comme si elle baissait la garde un instant.

Jeannette reprit :

— Il faut que je rentre, ils vont s’inquiéter à l’ostal. Bientôt Noël sera là et je penserai à toi.

Rose qui s’était ressaisie rétorqua :

— Personne ne pensera à moi à Noël, toi pas plus que les autres et ce sera très bien comme ça. Je resterai au bal des fantômes. File maintenant.

— Moi si ! Je te promets que si ! insista l’enfant qui fila comme le vent d’autan l’instant d’après.

Celle qu’on appelait la brussèia resta là un moment à la regarder s’éloigner appuyée à l’arbre aux pendus. Secouant la tête, un peu dubitative, elle entreprit de regagner sa masure au fond des bois.

Les jours raccourcirent encore. Le froid se fit plus intense.

« Per la Sant Martin la lèbre es pel camin, per Nadal es al pè de l’ostal »* chuchotait-on dans les bordes lauragaises au coin de l’âtre.


La famille de Jeannette brava la rigueur de la soirée pour se rendre à la messe de minuit à la lueur de la lampe tempête qui se balançait. Au loin on entendait leurs voix portées par le vent de cers. Des rires de temps en temps venaient étinceler les conversations.

Mais lorsqu’ils longèrent le petit bois, sur le chemin du village, il se passa quelque chose qui les laissa sans voix.

Jeannette entonna un de ces Noël d’autrefois que sa mameta lui avait appris. Il faisait quelque chose comme ça :


Quina clartat brilhanta

De tot costat lusis

O meravilha estonanta

Nostres uèlhs son esbleugits

La lum nos environa

Es miejanueit et sembla jorn**


Quelque part au fond du bois, dans une petite maisonnette un peu délabrée, ce chant fit sursauter une très vieille femme qui cousait au coin du feu. La voix de Jeannette était passée par-delà les branches, se frayant un passage, portée par le vent. Ce chant était celui des Noël de son enfance. Il était si puissant qu’il réussit à fendiller la carapace qu’elle s’était construite au fil des ans et une larme perla au coin de ses yeux. Cela n’était pas arrivé depuis des années. A voix très basse, presque chuchotée, Rose fredonna à son tour cet air d’autrefois, elle qui n’avait plus chanté depuis des lustres.

— Sacrée petite fille, murmurait-elle encore lorsqu’elle s’endormit.


Le lendemain matin, elle fut réveillée tôt par deux petits coups secs frappés à sa porte. Elle n'avait pas l'habitude qu'on frappât chez elle. Jamais visiteur n'arrivait jusqu'à sa masure ou, au contraire, s'en écartait bien vite en courant lorsqu'il l'apercevait.

Lorsqu'elle ouvrit, devant elle se tenait Jeannette, un paquet dans la main.

Aquò es per tu ! dit simplement la petite fille en guise de salut.

— Pour moi ? dit la vieille femme en extirpant du papier journal qui l'enfermait une orange superbe. Mais... que vont-ils dire chez toi ?

— Ils ne diront rien ! J'ai eu deux oranges et ils m'ont bien dit qu'elles étaient miennes, je peux en disposer à ma guise. Alors j'ai décidé que celle-là était pour toi... L'autre est pour moi et nous pouvons les déguster ensemble si tu veux bien. Partager la nourriture et les impressions que nous en avons la rend meilleure encore... Non ?


Rose ne sut que dire, se laissa happer par une émotion qu'elle n'avait pas ressentie depuis longtemps . Jeannette comprit que sa carapace s'était fissurée lorsque, tenant l'orange offerte, deux larmes perlèrent au coin des yeux de la vieille femme.


Et quand vint l'an nouveau, au moment où les journées s'allongeaient et la lumière reprenait vigueur, on vit Rose, celle qu'on appelait de moins en moins la bruèissa, aller par les chemins mais elle n'avait plus le regard baissé ni son chapeau et son paletot austères. Bien sûr, elle s'arrêtait toujours pour échanger quand elle rencontrait la petite Jeannette mais désormais, elle pouvait aussi s'installer au bord d'un champ pour regarder ceux qui travaillaient leurs champs et engager la conversation avec eux. Nul dans le Lauragais ne songea alors plus à se méfier de Rose.


FIN


* Pour la Saint Martin, le lièvre este chemin ; pour Noël, il est au pied de la maison.

** D'après Paul Fagot, Traditions populaires du Lauragais, La découvrance. éditions

( Traduction : Quelle clarté brillante, Qui de tous côtés luit. O merveille étonnante, nos yeux sont éblouis. La lumière nous entoure, il est minuit et on dirait qu'il fait jour)


Pour retrouver les deux tomes de Ceux de la Borde Perdue et quelques nouvelles des prochaines rencontres : www.bordeperdue.fr


Je vous souhaite un bon bout d'an pour ce qu'il en reste. .


A bientôt


Sébastien

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