Comme Louise l’avait imaginé, Angelin – non qu’il négligeât ses enfants – se trouva trop occupé pour rencontrer le maître d’école. Nul ne pouvait le nier, il était débordé par les travaux, englouti par son chagrin et – mais cela, il ne l’avouerait jamais – un peu impressionné d’avoir à parler à un homme dont l’instruction, les savoirs et le maniement du verbe l’impressionnaient un peu trop.
Aussi, confia-t-il à Louise un billet l’autorisant à recueillir en entretien les difficultés auxquelles Virgile faisait face à l’école. Jeanne jusqu’à ce qu’elle tombât malade avait géré la scolarité des enfants, d’abord Virgile lorsqu’il fut en âge d’être accueilli sur les bancs de l’école puis Miette, impatiente de suivre les traces de son grand frère.
Monsieur l’instituteur,
Vous savez la difficulté dans laquelle se trouve notre famille. J’ai bien pris note de votre demande de rendez-vous. Je ne suis pas très disponible en ce moment que les labours me mobilisent beaucoup, je vous demande de bien vouloir dire les difficultés de mon fils Virgile lors d’un rendez-vous à Mademoiselle Malacan Louise qui s’occupe des enfants depuis la mort de leur maman. Elle s’en occupe très bien. Merci de la recevoir, elle me dira les problèmes de Virgile et nous en parlerons pour les régler. Il m’écoutera.
Salutations distinguées
Angelin Lavalette
Lorsqu’elle lui tendit le petit mot, un matin, Monsieur Clavel instituteur de son état, fronça les sourcils durant la lecture des quelques liges, regarda la, jeune femme, relut encore les quelques lignes. Il tordit le nez pour exprimer sa perplexité mais ne la mit pas en mots.
— Ce soir après la classe, cela vous sera-t-il possible Mademoiselle Malacan ?
— Oui Monsieur Clavel.
— Alors à ce soir, je vous souhaite une bonne journée.
Durant toute la journée, Louise remplit ses tâches à Montplaisir sans pouvoir extraire de son esprit l'inquiétude liée à ce rendez-vous. Elle tentait de se rassurer mais n'y parvenait pas correctement. Elle avait peur pour Virgile. Elle espérait que ce qui lui serait annoncé pourrait être réglé sans trop de difficultés.
A la fin de la journée, elle se présenta donc au portail de l'école. Les élèves sortaient en courant, joyeux de détenir la clé des champs. L'institueteur et Louise demandèrent à Virgile de bien vouloir surveiller Miette et de jouer gentiment dans la cour durant leur entrevue.
L'immense salle de classe était éclairée par de hautes fenêtres, cette lumière contrastait avec le bois sombre des pupitres éclairé seulement par l'éclat de la faïence blanche des encriers. Sur le tableau noir, la date du jour trônait encore en majesté écrite à la craie blanche avec des lettres d'une régularité exemplaire. Au dessous, restaient encore les devoirs pour le lendemain et quelques bribes des activités de classes de la journée mal effacées.
Sur le bureau du maître, une pile de cahier d'écoliers renfermant les exercices du jour attendaient d'être corrigés.
— Asseyez-vous Mademoiselle Malacan, proposa le maître d'école en désignant un pupitre. Il prit une chaise et l'installa de l'autre côté
Au-dessus de petites bésicles cerclées de métal, l’enseignant regarda Louise un moment puis comme s’il prenait son élan, prit sa respiration et commença :
— Vous savez, Mademoiselle Malacan, loin de moi l’idée de rajouter des tracas à ceux que surmontent déjà Monsieur Lavalette et les siens. Mais… je me dois d’alerter les parents lorsque le comportement d’un enfant m’interpelle.
— Je n’ai pas grand-chose à dire sur la petite Mireille si ce n’est qu’elle a l’air heureuse de venir ici chaque jour et de retrouver ses camarades. Elle est très attentive en classe, un peu rêveuse cependant mais en la rappelant à l’ordre, elle veut bien abandonner ses chimères pour revenir à la réalité de son cahier… Pour Virgile… c’est un peu différent.
Il s’interrompit un instant comme pour reprendre son souffle :
— Depuis qu’il a perdu sa mère, cet enfant a totalement changé de comportement. Comment pourrais-je dire cela ? Il a toujours eu un tempérament assez prononcé, un visage très expressif pour montrer sa désapprobation ou ses colères mai cela tient à sa personnalité. Ce qui est nouveau c’est que Virgile est devenu bagarreur…
— Les autres enfants l’ennuient ? osa Louise
— Non, mademoiselle, c’est Virigile qui, désormais, cherche toujours la confrontation avec les autres. Ils sont patients bien-sûr mais au bout d’un moment, ils se rebiffent. Que voulez-vous ? Et cela m’amène à bien souvent intervenir dans la cour de récréation…
— J’ai bien remarqué que sa blouse est souvent déchirée ou trouée. Sans doute un peu plus qu’à l’ordinaire mais je ne le connais pas encore depuis assez longtemps pour pouvoir en juger… Parfois il porte quelques égratignures, il me dit qu’il est tombé, s’est blessé avec une branche…
— Il n’en est rien mademoiselle. Il a eu droit à quelques punitions, des lignes, des remontrances… Mais rien ne semble pouvoir le mobiliser. J’ai discuté avec lui afin de savoir ce qui ne va pas, pourquoi il cherche la bagarre constamment mais il se mure systématiquement dans le silence. C'est pourquoi j'ai souhaité cet entretien.
— Qu’attendez-vous de nous ? demanda Louise avec une timidité que l’enseignant trouva touchante
— Que vous parliez avec lui et nous parvenions à régler le problème. Au plut tôt. Certaines familles se sont montrées très mécontentes et je les comprends. Je compte sur vous mademoiselle ainsi que sur monsieur Lavalette…
— Vous pouvez, lui répondit-elle penaude.
Quelques minutes plus tard, Louise sortait de la classe, raccompagnée par monsieur Clavel. Les enfants jouaient, assis auprès d’un grand platane avec un petit tas de branchettes et quelques cailloux ramassés çà et là.
— Je vous remercie, Monsieur, dit-elle une dernière fois. Nous y allons les enfants…
Elle serra la main que l’enseignant lui tendait pendant que Miette et Virgile, se relevaient, époussetaient leurs blouses.et que le petite garçon vissait son béret sur son crâne.
— et moi, je vous remercie pour votre écoute, Mademoiselle, dit-il simplement. Mireille, Virgile, à demain matin.
Louise les prit par la main et ils partirent à travers les petites rues de Florac. La fraîcheur des débuts de soirée d'octobre saisissait déjà le Lauragais. Un frisson parcourut le dos de Louise.
— Virgile, il va falloir qu'on parle, disait-elle lorsqu'à l'angle d'une rue, elle tomba sur Hélène et Gabriel qui revenaient de l'épicerie.
— Eh bien que faites-vous là ? leur demanda-t-elle tout heureuse que le hasard les mît sur son chemin.
— Oh tante Louise ! s'exclama Hélène. Plus d'huile, ni de sel...
— La gestion des stocks à la Borde Perdue n'est plus ce qu'elle était... s'esclaffa Gabriel, moqueur.
— Je ne fais pas ça aussi bien que tante Louise mais tout le monde peut commettre des erreurs, s'agaça la jeune fille. J'apprends...
— Gabriel, laisse ta soeur tranquille ! le reprit gentiment Louise. Oh mais... regardez qui est avec moi. Je vous présente Mireille, enfin... Miette et son frère Virgile. Et voici, Hélène et Gabriel, ma nièce et mon neveu. Tout petits, eux-aussi, je les conduisais et allais les chercher à l'école...
Elle se figea soudain, se rendant compte que le sort se riait d'eux. Quinze ans plus tôt, c'étaient Hélène et Gabriel qui lui tenaient la main en rentrant de l'école et là, elle se trouvait face à eux presque adultes désormais.
Troublée, elle se reprit :
— Alors comment allez-vous ? Et à la Borde ? En dehors du fait qu'il n'y a plus d'huile ?
Cette dernière assertion décrocha un sourire timide aux jeunes gens mais elle saisit rapidement à leurs mines déconfites que tout n'allait pas si bien.
— Si je te dis : disputes avec Solange, papa pris entre deux feux, pépé Léonce blessé, tracteur en panne et Belloc qui fait des siennes, tu vois un peu l'étendue des dégâts ?
— Aïe, je suis tellement désolée... Mais, prenons un moment, racontez-moi.
Il rejoignirent la petite place devant la mairie de Florac et s'appuyèrent à la fontaine pendant que Miette et Virgile reprenaient leurs jeux d'enfants.
Hélène et Gabriel, ravis de cette rencontre inopinée avec Louise, purent s'épancher auprès de leur tante comme ils l'avaient toujours fait.
Ils parlèrent de tout avec une liberté retrouvée : les tensions avec Solange qui avait du mal à trouver sa place à la Borde Perdue, sa prise bec avec Léonce qui avait laissé des traces dans les esprits, ce satané tracteur qui avait décidé sur un caprice de retarder les labours...
— L'entreprise est venue aujourd'hui. Ils pensaient terminer la réparation en fin d'après-midi. Je croise les doigts parce que labourer avec les boeufs, ben, j'en ai plus très envie, s'impatienta Gabriel avec sa fougue habituelle.
— Et puis... il y a autre chose, de plus ennuyeux....
— Vraiment ? s'émut Louise. dites-moi.
— Bacquier est passé ces jours-ci. Tu as entendu parler de l'incendie d'En Peyre ?
— Oui, répondit doucement Louise qui avait peur de comprendre.
— Belloc a très envie de nous le mettre sur le dos ! enragea Gabriel.
— Toujours le même sale type, se rembrunit Louise. Il ne faut pas se laisser faire !
— Papa est bien décidé à se rebiffer... mais... poursuivit-il.
— Mais ?
— Il ne sait pas trop comment s'y prendre je crois. Moi, j'irais bien casser la figure de ce satané bonhomme, conclut-il en fermant ses poings.
— Je te l'interdis ! Tu entends Gabriel ? Tu ne prends aucune initiative ! Et surtout s'il y a le moindre problème, tu viens m'en parler à Montplaisir. Ce n'est pas si loin.. Tu as bien compris ? Tu ne fais rien que nous pourrions tous regretter.
Le jeune homme avait baissé la tête. Hélène cherchait le regard de Louise comme pour un appel à l'aide.
Décidément, les vents étaient bien capricieux autour de la Borde Perdue... Et ce n'était pas fini...
A suivre...
Rendez-vous la semaine prochaine pour le huitième épisode de cette saison 2, intitulé "Près des paillers"
Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog
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