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S2 - Chapitre 28 - La sale journée de Germain

Au coeur de la nuit noire, la lumière jaune du phare de la moto rebondissait sur les troncs gris des platanes les faisant défiler comme une frise végétale interminable. Germain n'avait pas dormi de peur d'être emporté par le sommeil. Le gros réveil un peu rouillé n'avait pas eu à sonner pour le tirer du lit. Et puis... il avait cette peur nouée au ventre, envahissante, dévorante. Et si Hélène refusait de l'écouter ? Et si leur relation était durablement abîmée ?

Gabriel avait insisté pour venir avec lui. Germain avait d'abord refusé. Fermement. Mais il s'était ensuite laissé convaincre. Gabriel considérait qu'il était à l'origine de cette fugue. Il s'était montré trop colérique, trop fougueux. Pas assez compréhensif. Il en nourrissait de tenaces remords et participer à ce moment lui paraissait évident. Comme pour rattraper les choses s'il n'était pas déjà trop tard. Cramponné à la veste de son père, alors que la moto filait, il se laissait griser par la vitesse et le froid qui griffait son visage.

Rejoindre les quais du Canal du Midi leur demanda une vingtaine de minutes. Le capitaine avait dit à quatre heures trente, ils y seraient une heure plus tôt.


— Qu'est-ce qu'on va lui dire, papa ? avait demandé Gabriel avant de partir.

— Je ne sais pas trop. On verra sur le moment. Mais surtout, quoiqu'il arrive, on ne s'emporte pas, on a trop durement payé nos excès.


Gabriel avait trouvé émouvants les regrets de père qui s'exprimaient ainsi, à peine voilés. A leur départ, Elia et Léonce étaient là, eux-aussi, insomniaques. Ils s'étaient installés devant la cheminée dont ils avaient ravivé les braises. A nouveau les flammes dévoraient mes bûchettes et le tronçon d'ormeau installé à Noël.


La moto filait et se rapprochait de son objectif. Pour ne pas effrayer les fuyards, ils choisirent de se garer à quelques dizaines de mètres de là pour arriver à pied près de la péniche.

Le jour était loin de poindre mais une lune complice éclairait un peu les pas et l'environnement immédiat. Elle pointait entre les branches des platanes et ce qu'elle révéla inquiéta rapidement Gabriel et son père.

Près du quai, ils ne distinguèrent pas l'immense masse sombre du céréalier qui aurait dû se découper dans la faible lueur nocturne. A sa place, le reflet de la lune se noyait dans le canal et soulignait cruellement son absence.


— Mais ? Papa ? articula Gabriel avec peine devant sa déconvenue.


Germain tournait la tête de toutes parts. L'onde était calme, aucun bruit ne flottait dans l'atmosphère silencieuse. Lui non plus semblait ne pas comprendre, hébété par cette situation à laquelle il ne s'attendait pas.


— Mais y a personne ? Personne ? Ce n'est pas normal, répétait le jeune homme.


Ils reprirent la moto et remontèrent les écluses de Renneville, Avignonet, Montferrand et les suivantes jusqu'à Castelnaudary. Mais rien. Rien qui ressemblât à la péniche nommée Gisèle.


— Elle ne peut pas s'être volatilisée ? gémissait Gabriel.


Mails il fallut se rendre à l'évidence, le céréalier avait disparu et avec lui, les espoirs de retrouver Hélène et Marcel se dissipaient dans le petit jour brumeux qui se levait.





Lorsqu'ils rentrèrent à la borde, ils furent contraints de décevoir les espoirs de ceux qui attendaient.


— Vous ne l'avez pas vue alors ? se lamenta Juliette en se rasseyant au coin du feu. Paura pichona...


Il fallut alors commencer la journée à la métairie. Bêtes et tâches attendaient mais nul n'avait pourtant le coeur à s'y mettre. La déception se rajoutait au lourd fardeau familial de l'inquiétude.


Gabriel s'interrompit pourtant en milieu de matinée.


— Je file à Montplaisir, je vais prévenir tante Louise. Elle va être très déçue, se lamenta-t-il.


Gabriel venait de partir avec sa bicyclette lorsqu'une Renault Juvaquatre surgit au bas du chemin de la Borde Perdue.


— Les gendarmes ! s'exclama Léonce. ça ne va pas recommencer !


Il se campa avec sa canne barrant la porte d'entrée, bien décidé à se mettre en colère comme il l'avait fait lors de leur précédente visite.

La fourgonnette se stationna au milieu de la cour un peu boueuse à cette période malgré les tentatives d'empierrement successives. Les deux gendarmes en sortirent, toujours les mêmes, le grand à la figure de couteau surmontée de moustaches soignées et le petit au visage en forme de poire.


Ils n'avaient pas posé le second pied sur le sol de la cour que Léonce beuglait déjà :


— Ne me dites pas que vous revenez encore pour cette histoire d'incendies chez Belloc ?

Papa, arresta ! tenta de calmer Germain.

— Cher monsieur, nous ne faisons que notre travail afin que la justice avance et...

— Si votre métier c'est de faire caguer le monde et ne particulier les innocents, eh be il est pas bien joli votre métier...


Il semblèrent l'ignorer et s'adressèrent à Germain.


— Il faudrait que nous vous parlions Monsieur Bourrel.

— C'est lui l'assassin ? l'horrible incendiaire ? railla Léonce.

— Monsieur, s'il vous plaît... Laissez-nous... Nous avons à discuter...

— Ah vous discutez avec lui et pas avec moi ? Vous ne discutez pas avec les vieux ? Ou alors c'est parce que je suis impotent ?

— Papa !

— N'allez pas trop loin, Léonce Bourrel !

— Montez dans le véhicule, monsieur Bourrel, nous avons à parler.

— Et moi ? hurla Léonce, cramoisi. Vous allez emmener mon fils ?

— Nous allons seulement dis-cu-ter ! tonna le militaire. Au calme !


Et il claqua la portière de la Juvaquatre.


* * *

A quelque distance de là, dans un vieux moulin désailé, ancien bâtiment cylindrique désaffecté et ceint d'un petit bois, un jeune couple s'était réfugié depuis un peu plus d'une semaine. Il y faisait froid et ils vivaient de trois fois rien.


Après l'échange de Germain et Gabriel sur la péniche, Marcel s'étant assuré de leur départ, était revenu voir le capitaine de la Gisèle pour être certain du projet. Mais la conversation avait échaudé le marinier. Malgré l'insistance du jeune homme, sentant une situation épineuse, il s'était dédit, avait trouvé des prétextes. Il avait même levé l'ancre dès la fin de l'après-midi à la grande surprise de ses hommes. Ainsi la Gisèle s'était éloignée, lentement pressée, sur les eaux vertes du canal. Au grand dam de Marcel.


— Nous trouverons une autre solution, lui assura Hélène sans pourtant avoir la moindre idée d'une issue. Et tant pis pour la mer... même si j'aurais bien aimé savoir à quoi elle ressemble...


Ce qu'elle savait par contre résidait dans le fait que cette situation n'était que transitoire. Qu'ils ne pourraient ainsi vivre très longtemps en commettant de petits larcins, en se serrant fort l'un contre l'autre dans un tas de paille pour lutter contre le froid nocturne - le vieux moulin était ouvert aux quatre vents - et en se cachant avec mille précaution pour ne pas attirer l'attention. Parfois, les jours de marché, Marcel allait jusqu'à la ville voisine pour mendier un peu. Jamais avec Hélène, il ne fallait pas qu'on les vît ensemble ni qu'on éveillât les soupçons.


Certains jours, lorsqu'elle y pensait, qu'elle se regardait un peu vivre ainsi, elle avait l'impression, à ne se déplacer que furtivement, à se dissimuler sans cesse, d'être un peu comme Suzette, le fantôme de la Borde Perdue qu'ils avaient tant poursuivi un an plus tôt avec son frère. Hélène était à son tour un ectoplasme, soustraite aux yeux du monde, ne vivant plus que pour ses sentiments pour Marcel. Il lui arrivait d'avoir le mal des siens. Ils n'acceptaient pas son amour pour Marcel mais ils souhaitaient la protéger. C'étaient de braves gens, elle le savait. Ils lui manquaient. Mais Marcel...


* * *


Il s'était écoulé une vingtaine de minutes depuis que les deux gendarmes et Germain s'étaient enfermés dans la Juvaquatre. Léonce ne les avait pas lâchés des yeux, tout juste avait-il pris trente seconde pour échanger sa canne contre une fourche aux dents aiguës sur le manche de laquelle il s'appuyait. Il était transi de froid mais il ne lâcherait pas, il ne se laisserait pas impressionner. Foi de Léonce.


— Vous nous menacez, Monsieur Bourrel ? demanda un gendarme en fixant la fourche, sourcils froncés lorsqu'il descendit de la voiture.

— Moi ? Mais pas du tout, messieurs. Je procède à mes activités quotidiennes, je m'en vais quérir du foin.

— Tant mieux nous n'aimerions pas, nous, procéder à une arrestation pour menaces ou outrage.

— Vous relâchez mon fils ?

— Nous n'avons jamais envisagé de l'arrêter ! Par contre, si vous arrivez à vous calmer, il aura des choses à vous apprendre. Des éléments qui pourraient bien vous surprendre !

— Me... me surprendre ?


Germain était descendu à son tour du véhicule. Il paraissait abattu.


— Oui, papa, c'est terrible, dit-il simplement. Je n'arrive pas à croire ce que je viens d'apprendre !

— Mais quoi ? cria Léonce.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le vingt-neuvième épisode de cette saison 2, intitulé "D'un vieux moulin à l'abandon"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Bruno Alasset pour la photo d'illustration.

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