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S2- Chapitre 27 - Enquête sur le Canal du Midi

Dans le sas de l'écluse elliptique de Gardouch, un long bâtiment sombre attendait que le niveau de l'eau descendît pour poursuivre son voyage vers Toulouse après avoir franchi la voûte arrondie du pont de pierre paré de briquettes rosées. La péniche d'un gabarit Freycinet, le ventre gonflé de ciments du Bas-Rhône, continuerait alors sa course en aval au rythme lent des eaux sombres du canal. En attendant, des ventaux, s'échappaient deux cascades bruyantes.


Après la révélation de Fernand, Gabriel et Germain avaient pris la moto et s'étaient mis à chercher une péniche bien particulière entre Ayguesvives et Montferrand. André, l'éclusier ami de Fernand, lui avait en effet expliqué qu'un jeune couple dont la fille était de Penens ou de Florac cherchaient à tout pris à embarquer vers Sète. Ils avaient proposé à tous les bateliers de travailler à bord contre un voyage vers la mer. Un aller, pas de retour...


Quand, à la Borde Perdue, Fernand avait raconté cette histoire, Gabriel avait sursauté :


— C'est elle, c'est sûr ! Elle a toujours rêvé de voir la mer !


Hélène en avait entendu parler, en avait vu quelques photos mais au moment où elle était écolière durant la guerre, aucune sortie scolaire n'avait jamais été organisée. Elle ne savait pas très bien ce qu'était la mer mais avait toujours caressé l'espoir de la voir un jour.


— Un jour, nous irons ! avait toujours répondu Germain à sa fille mais avec les activités de la métairie, la difficulté à se déplacer et le peu d'argent dont il disposait, ce jour là n'était jamais advenu.


Aussi, ce couple qui voulait naviguer vers Sète, forcément...


Ils avaient eu du mal à trouver avait dit l'ami de Fernand. mais, à la faveur, de la défection de l'un de ses hommes et touché par les amoureux, un capitaine avait accepté le marché. Ils seraient logés, étroitement certes, nourris contre une aide aux matelots sur la péniche et au passage des écluses.


Le bateau à retrouver était un céréalier, une péniche baptisée du prénom de la fille de son propriétaire, Gisèle. Il stationnait là deux jours avant de poursuivre le fret.

Gabriel et Germain avaient cherché un long moment croisant quelques pinardiers, pétroliers et puis soudain, la longue silhouette noire leur était apparue, à quai, à l'entrée du bief qui s'étirait de Gardouch à Renneville.


Stoppant net la moto, ils avaient fait signe à l'un des hommes avant de monter à bord. Le capitaine leur confirma la situation. Il avait donné rendez-vous aux amoureux le lendemain, de très bonne heure, pour larguer les amarres.


— Mais je ne veux pas de problème, moi. J'ai fait ça pour leur rendre service, parce que je les ai trouvés touchants, précisa l'homme qui portait des bacchantes impressionnantes. Venez demain vers quatre heures trente, vous pourrez leur parler.


Aucun d'entre eux ne savait qu'à une dizaine de mètres de là, une jeune fille venait d'arrêter la course de Marcel en direction du bateau d'un geste sec. Au moment où ils allaient confirmer leur montée à bord le lendemain, pour être sûrs que le matelot n'avait pas changé d'avis, leurs plans s'effondraient.


— Mon père et mon frère ! s'était-elle exclamée avant de se jeter derrière l'un de immenses platanes qui bordaient le canal. Comment ont-ils su ?


Ils continuèrent à les épier un moment. La conversation avec le marinier se prolongea un peu. Hélène étaient là, à quelques mètres des siens, en tendant davantage l'oreille elle aurait peut-être pu percevoir leurs voix que couvraient les bruits de l'écluse.

Elle eut cette impression terrible d'être à la croisée des chemins : dans sa main, elle sentait les doigts de Marcel et puis, là, à quelques mètres seulement, les siens qu'elle aimait tant. Elle eut pourtant un sursaut. N'avaient-ils pas fait obstacle à son amour pour Marcel en le vilipendant sévèrement, en le renvoyant sans chercher à comprendre ce qui les unissait ? Ils n'avaient pas voulu voir la force de ce qui les liait. Ils avaient juste considéré qu'elle s'était fait mettre le grappin dessus comme une gamine écervelée, ne lui prêtant aucune liberté ni autonomie dans ses sentiments.


Et pour cette raison, elle leur en voulait vraiment. Elle serra la main de Marcel plus fort dans la sienne.


— Viens, lui dit-elle en l'entraînant. Il ne faut pas qu'ils nous voient. Au besoin, on trouvera un autre moyen. Et tant pis pour la péniche...


Ils dévalèrent le talus, rejoignirent les champs et s'élancèrent dans une course folle à travers les labours pour remettre de la distance entre eux et le canal, pour l'instant.


Pendant ce temps, Gabriel et Germain avaient promis au capitaine qu'il n'y aurait pas de raffut, juste une mise au point. Eux-aussi seraient là le lendemain matin, au coeur de la nuit noire de décembre, à l'heure dite. Peut-être même avant... Il fallait absolument parler avec Hélène, la convaincre de rentrer.



— Du courrier, Louise !


Angelin Lavalette qui remontait pour le repas de midi avait rencontré le facteur sur son chemin. Il déposa la lettre sur la table voyant la jeune femme occupée à pétrir une pâte à biscuit.


— Une lettre pour Louise ? persiffla Edmond l'un des deux gagés

— Non ? renchérit, rigolard, Anselme. Mademoiselle Louise a un pli ? Mais de qui cela peut-il bien être ?

— Les garçons ! tonna Louise faussement sévère. Occupez-vous de vos affaires !


Elle jeta un coup à l'adresse et ne reconnut pas l'écriture d'Hélène. Elle eu instantanément, au regard de la calligraphie soignée, une idée de l'expéditeur.


— Tiens, reprit Edmond. Mademoiselle Louise n'ouvre pas son courrier ?

— On dirait bien que non. Veut-elle tranquille pour lire cette missive ? s'interrogea son comparse avec l'emphase d'un comédien.

— Mademoiselle Louise aurait-elle un galant ?

— Regardez-la donc rougir !

— Les garçons ! s'exclama-t-elle. Seriez-vous jaloux ?


Ils s'esclaffèrent. Angelin reprit de volée :


— Je vais vous venger Louise ! Je vais envoyer ces deux gredins retirer la galinassa du poulailler cet après-midi.

— Oh non ! s'exclamèrent les deux gagés en choeur

— Et si ! ça fait quinze jours qu'on en parle... Et le temps est plutôt clément, pas sûr que ça dure...


Cette fois, ce fut au tour de Louise de rire en leur adressant un clin d'oeil.

La jeune femme n'ouvrit sa lettre, rangée dans la poche de son tablier, que lorsqu'elle eut un peu de temps au début de l'après-midi. Elle était impatiente mais tâcha de le dissimuler autant qu'elle le put.


Elle s'assit dans sa chambre, près de sa coiffeuse de fortune et, avec beaucoup de soin, et la lame de ses ciseaux de couture, elle déchira le haut de l'enveloppe pour libérer le courrier.


Luchon. le 24 décembre 1952


Ma chère Louise,


Parce que je vous l'avais promis mais aussi parce que je m'impatientais de pouvoir le faire, je vous adresse ces quelques lignes qui, je l'espère, trouveront la situation de votre nièce solutionnée par une issue favorable.


Si tel n'est pas encore le cas, je sais votre courage pour affronter l'épreuve, Louise. Je sais aussi votre détermination, votre abnégation et votre dévouement envers ceux qui vous entourent. Je ne doute pas que vous êtes d'un grand secours pour les vôtres comme vous l'avez été ces derniers temps si difficiles pour les enfants de Monsieur Lavalette.


Bien-sûr, je suis heureux de retrouver les miens ici : parents, frère, soeur mais aussi mes neveux et nièces qui rient, se poursuivent et égayent toute la maisonnée. Mais, pour la première fois, je suis impatient de revenir à Florac. Ce ne sera plus l'affaire que de quelques jours.


Il est plus facile d'écrire que de parler, Louise. La distance dans le temps et dans l'espace que crée une correspondance épistolaire permet de mieux trouver ses mots moins troublés par l'émotion de l'instant et la proximité. En contrepartie, les phrases sont écrites, gravées pour l'éternité qu'on voudra bien accorder au papier, les mots prononcés, eux, s'envolent et se dissipent dans l'air. Mais je me laisse trop aller à la digression.


Ce que je voulais vous exprimer, Louise, à travers cette lettre est l'émotion que vous suscitez chez moi. Peut-être vous en doutez-vous, je l'ai si mal dissimulée, je crois. Vos combats ont tout mon soutien.


Dans l'attente impatiente de vous retrouver, je vous envoie mes pensées les plus chaleureuses.


Paul


Louise était émerveillée. Elle lut et relut la missive pour se convaincre de la réalité de son contenu. Ne fut-ce l'inquiétude qu'elle nourrissait pour Hélène, elle aurait pu être heureuse pour l'une des premières fois de son existence.


A suivre...


Rendez-vous la semaine prochaine pour le vingt-huitième épisode de cette saison 2, intitulé "La sale journée de Germain"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Merci à Bruno Alasset pour la photo d'illustration.

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