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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 24 - Une disparition

Dernière mise à jour : 21 oct. 2021

Rien. Plus rien. Envolés. Partis en fumée. Il ne restait plus rien en dehors d'un petit tas de cendres hérissé de pièces métalliques et d'où s'échappaient des fumerolles. Devant cette scène de désolation, Félix Amat pleurait à chaudes larmes.

Décidément, depuis qu'il s'était installé En Peyre avec sa famille plus rien n'allait droit. Lui en voulait-on à lui et aux siens ou bien était-ce dirigé vers Alfred Belloc, l'irascible propriétaire des terres ? Il avait bien sa petite idée mais là, cette nouvelle situation le dépassait.

Un incendie. Encore un. Ou plutôt... deux...

Dans la nuit, la cabane qui abritait une bonne partie de sa réserve de bois de chauffage et le cabanon de jardin distant d'une centaine de mètres y étaient passés, consumés aussi vite que de l'amadou. Après leur pailler et le hangar, le pailler et la grange des voisins, on s'en prenait à nouveau à eux.

Les premiers incendies avaient généré des peurs et des angoisses qui se calmaient à peine, voilà qu'elles étaient ravivées de la pire des façon.

S'il sanglotait, c'était de rage et de dépit bien plus que par désespoir. L'impuissance dans laquelle il était cantonné le faisait écumer. Si on lui avait livré les types qui avaient commis cet acte inqualifiable à cet instant précis, il les aurait mis en charpie. De ses deux mains nues. Il sentait que ses forces se seraient décuplées. Mais là, les coupables - peut-être étaient-ils en bande après tout ? - s'étaient évanouis, avalés par la nuit.

Lorsqu'à trois heures du matin, leur voisin hurlant et frappant sur la porte les avait réveillés, sa femme et lui avaient été pétrifiés devant ces deux immenses torches nocturnes. Le voisin les avait distinguées au loin alors qu'au coeur de l'obscurité, ne trouvant pas son vase de nuit oublié devant la porte de l'étable, il s'était décidé à se lever pour aller se soulager près du figuier.

Il avait couru. Aussi vite que ses forces le lui avait permis. Mais il était déjà bien trop tard, les flammes avaient dévoré goulûment leurs proies de bois. Bien-sûr, il avait couru mais en s'élançant, il savait déjà qu'ils ne sauveraient plus rien.


Ni l'un ni l'autre ne savaient qu'à quelques dizaines mètres de là, dans un petit bosquet d'ormeaux, l'incendiaire contemplait son forfait. Il y avait les flammes bien-sûr, rougeoyantes et tournoyantes, attisées par un léger vent de Cers. Elles s'élevaient au dessus des planches des cabanes qu'elles anéantissaient en faisant craquer le bois sec sous la chaleur du brasier. Parfois des pans entiers incandescents s'effondraient sur le sol suivis par une gerbe d'étincelles. Mais il y avait aussi l'affolement des deux métayers impuissants, les cris, les courses vaines avec des seaux entre l'abreuvoir des animaux, la nauca, et le feu. Ridicules tentatives de pantins désarticulés par la panique.

Jamais il n'avait osé s'attarder autant mais là, la nuit était son alliée. Il ne le regrettait pas. Il sentait dans tout son corps une sensation de toute puissance. Il n'eut même pas peur quand le fils du métayer passa en courant à cinq ou six mètres de lui avec sa lampe tempête à la flamme chancelante chargé d'aller prévenir en urgence le régisseur d'Alfred Belloc. Il resta là vingt minutes, peut-être trente, avant de se décider à regrets à quitter les lieux pour disparaître dans l'obscurité.



Angelin Lavalette avait un sourire en coin. Il était installé à la grande table de la cuisine pour faire ses comptes. Son carnet ouvert, son crayon à papier récemment affuté par la lame de son Opinel trônaient au milieu de factures éparses et de bouts de papiers sur lesquels étaient griffonnées des additions, des soustractions.


— Evidemment, Louise ! Comment voudriez-vous que je vous dise non ?


La jeune femme qui avait passé une grande partie de la matinée à dégermer le stock de pommes de terre en compagnie des gagés, Edmond et Amédée, se tenait debout en face de lui. Elle était gênée et dissimulait assez mal cet état.


— Vous souhaitez avoir votre dimanche, Louise, vous l’aurez ! Et peu m’importe que ça fasse deux consécutifs ! Que vous avais-je dit Louise ?

— De prendre mes dimanches plus souvent mais…

— Eh bien alors, je ne vois pas où est le problème ? Vous n’en avez pas demandé un seul depuis que vous êtes ici.

— Mais qu’allez-vous penser ?

— Que vous pensez enfin un peu à vous, Louise, et que cela n’en sera que bénéfique sur votre état et donc le travail de la semaine.

— Merci Angelin. Mais ce n’est pas tout. Je voudrais bien m’absenter une heure ou deux, j’ai rendez-vous à Florac avec Hélène, ma nièce avant de récupérer les enfants à l’école. Est-ce que je n’abuse pas si…

— Filez donc Louise ! Et arrêtez d’être aussi empruntée avec moi… Nous nous connaissons maintenant n’est-ce pas ?


Alors qu'elle allait s'éloigner, il la retint un instant.


— Il y a encore des soucis à la Borde Perdue, n'est-ce pas ?

— Oui. Et pas qu'un hélas... Je suis préoccupée.

— Vous vous êtes éloignée d'eux en venant à Montplaisir, Louise mais une partie de votre esprit, sans doute de votre coeur, est restée là-bas.

— Vous avez raison. J'aurais pourtant aimé pouvoir tout emporter mais...

`— Mais on ne choisit pas ces choses-là...


Louise avait mis sa pèlerine pour se préserver du froid de décembre. C'était un jour gris anthracite, elle avait l'impression que tout autour d'elle avait été crayonné au fusain tant les coteaux étaient sombres et leurs contours un peu flous à cause de la brume. Elle arriva à Florac sans doute un peu en avance et s'installa sur un petit banc près de la fontaine, sur la place du village. Elle était bien décidée à faire le point avec Hélène et à la mettre en garde. Elle savait qu'elle aurait du mal à se faire entendre de sa nièce mais pour que le message passât, elle y mettrait toute l'énergie et la conviction dont elle était capable. Sans autorité excessive. Inutile et inopérante.


Les minutes passaient et Hélène ne venait pas. Louise se dit qu'une tâche de dernière minute l'avait retenue à la borde mais qu'elle ne tarderait plus.


Hélène était une jeune fille avec les pieds sur terre et Louise savait pouvoir faire appel à sa raison. Elle ne lui demanderait pas de renoncer à ses sentiments pour Marcel, c'était impossible, mais elle l'inciterait à une prudence de bon aloi. Louise considérait que ce réflexe de protection envers Hélène était naturel et constituait même un devoir. Elle avait accompagné ses premiers pas, l'avait vue grandir mais elle ne lui avait pas encore complètement lâché la main.


Mais Hélène n’arrivait pas.


Louise faisait et refaisait en avance la discussion dans sa tête comme pour se rassurer. Mais en réalité, elle redoutait un peu qu'Hélène ne se braquât, que le dialogue se rompît.

Elle espérait également que Gabriel dans l'intervalle avait retenu sa colère comme elle le lui avait intimé un peu vivement.


Mais quelle heure pouvait-il bien être ? Elle avait beau regarder vers le bas de la rue, sa niece n’apparaissait toujours pas .

Hélène était une jeune fille de bon sens et Louise était sûre qu’elle comprendrait ce qu’elle lui dirait. C’était pour son bien, sa sauvegarde. Pourtant quand le clocher sonna ses cinq coups de bronze qui s’en furent résonner dans les vallons alentours, Louise dut se rendre à l’évidence : Hélène n’était pas venue, Hélène ne viendrait plus. Elle espérait que ce n’était pas un signe de dédain ou pire, de peur. Peut-être avait-elle simplement été retenue par des travaux imprévus ? Ces tâches de dernière minute qui se réveillaient parfois à la borde parce qu’un animal avait besoin de soins particuliers ou qu’un incident imprévu mobilisait tout le monde. Louise tentait de s’en convaincre mais demeurait au fond d’elle la peur que sa nièce ne se fût détournée d’elle. A un moment crucial de son existence.


Louise regarda une dernière fois en direction de l'entrée du village mais aussi loin que son regard pouvait se porter sur le chemin, elle ne distinguait aucune silhouette. Miette et Virgile allaient attendre. Il lui fallait aller les récupérer au portail de l’école.

Monsieur Clavel la salua avec toute la courtoisie aimable qui le caractérisait. Elle tenta de lire dans ses yeux davantage encore, elle pensa y déceler l’infime signe de connivence qu’elle attendait. Elle répondit par un sourire très appuyé qu’elle se reprocha aussitôt. Elle se détestait de se montrer aussi godiche dans ces circonstances. et ce sourire idiot qu'elle lui avait adressé...

Lorsqu’elle repartit avec Miette et Virgile qui se disputaient pour savoir qui lui raconterait sa journée d'écolier en premier, Louise s’efforça d’être aussi attentive que possible. Mais l’absence d’Helene s’imposa à nouveau à son esprit, une sourde inquiétude pointait, elle craignait que le lien mêlé d'affection et de confiance qu’elle avait tissé avec elle ne fût rompu, l'âge adulte venu. Elle était rentrée à Montplaisir depuis deux heures au moins, avait accompagné les leçons des enfants - Virgile avait toujours un peu de mal avec les retenues des additions - était repassée jeter un oeil à l'étable et Louise s'apprêtait à servir le souper lorsque le chien se mit à japper furieusement dans l'obscurité.

Angelin qui venait de s'attabler se releva :


— Ne vous dérangez pas les garçons, plaisanta-t-il à l'adresse d'Edmond et Amédée qui taillaient déjà de belles tranches dans le gros pain posé au milieu de la table.


Par réflexe, il tira le rideau et se pencha pour jeter un oeil.


— Tiens, un gars à bicyclette... s'étonna-t-il.


Il sortit accueillir le visiteur et reparut dans l'instant.


— C'est pour vous, Louise. Il vous attend.


Louise, d'abord interloquée, essuya ses mains sur son tablier et s'en fut à la rencontre de ce visiteur du soir.

Gabriel se tenait debout, son vélo appuyé contre sa cuisse. Il était en larmes. En apercevant sa tante, il laissa tomber la bicyclette et se jeta dans ses bras :


Louisa, te cal venir a l'ostal.* Hélène a disparu !


A suivre...


* Louise, il faut que tu viennes à la maison


Rendez-vous la semaine prochaine pour le vingt-quatrième épisode de cette saison 2, intitulé "Où es-tu ?"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog

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