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Photo du rédacteurSébastien Saffon

S2 - Chapitre 18 - Scène de chasse dans les vallons

Aux premières lueurs de l'aube, Léonce et Flambeau partirent vers les coteaux. Le vieil homme, à pas lents et le chien hirsute, sautillant dans tous les sens tant il ne pouvait plus se tenir de la joie que lui procurait cette sortie inespérée.

Fusil à l'épaule, gibecière en bandoulière, Léonce, un peu hésitant, trouva son rythme de marche au bout d'un moment. Il exerçait une vigilance plus accrue qu'à l'ordinaire, chaque ornière, chaque fossé à franchir devenant un obstacle plus périlleux qu'à l'ordinaire en raison de sa jambe malhabile.

Le soleil pâle de décembre, qui avait du mal à rendre vie aux gouttelettes de rosée figées par le froid nocturne, les accompagnait. Il éblouissait Léonce par moments lorsque ses rayons affleuraient entre les lignes de cades au haut des collines. Léonce se dit même au bout d'un temps qu'Elia avait bien fait de l'inciter à cette partie de chasse.

Il aimait cette solitude dans le Lauragais silencieux, cet isolement où il pouvait laisser libre cours à ses pensées. Ces derniers temps avaient été éprouvants et cette balade matinale lui ferait le plus grand bien. Il ne se faisait guère d'illusion sur les trophées potentiels du jour : sa jambe ankylosée, ses réflexes amoindris l'empêcheraient de rapporter quoi que ce fût. Mais il y serait seul avec la nature lauragaise environnante, la fraîcheur matinale et les paysages à perte de vue et cet isolement lui ferait le plus grand bien.

Mais, pour Léonce, comme pour d'autres, les événements ne se déroulaient pas toujours comme il les avait envisagés. Selon qu'on crût ou non, on pouvait mettre cela sur le compte de de Dieu, peut-être du diable ou bien du sort ou plus largement du destin, les imprévus étaient parfois légions.

Ce dimanche-là, ils prirent pour Léonce la forme de rencontres inopinées qui vinrent troubler le cheminement solitaire qu'il avait d'abord envisagé.


La première se fit assez tôt après son départ, pas très loin de cela Borde Perdue, alors qu'il finissait de longer le bois. Une détonation claqua dans le silence matinal à quelques dizaines de mètres de lui qui fit sursauter. Le son se répercuta en écho lorsque Léonce vit une perdrix s'échapper au loin lui signifiant que le chasseur avait fait chou blanc.

C'était un Floracais dont le visage ne lui était pas inconnu mais sur lequel il était incapable de mettre un nom. Léonce lui envoya un salut en soulevant d'un doigt la visière de sa casquette ainsi qu'un haussement d'épaules désolé pour compatir à son échec.

Le type dévisagea Léonce comme s'il eût été en présence d'un démon. Sa figure plantée de deux yeux hagards se déforma en un rictus de terreur. Il siffla son chien qui, obéissant, rappliqua illico et partit en courant presque comme si Léonce eût été capable d'épauler et de le viser pour lui tirer dessus.


— L'imbécile ! siffla-t-il entre ses dents.


Cette rencontre inopinée le perturba. "Ainsi donc, ça continue..." se dit-il en son for intérieur. Cette réaction inattendue d'un homme qu'il ne connaissait que de vue le secoua à tel point qu'il ne vit que bien trop tard un lièvre que Flambeau venait de faire détaler de son gîte.

Pas de quoi en faire un drame. Ni du type, ni du lièvre (il disait de la lièvre). Mais cela venait se surajouter à ce stupide incident de la charrette et les indices convergeaient désormais sur la considération dans laquelle les Bourrel étaient tenus. Autant d'hostilité - injuste et injustifiée - se révélait contrariante et blessante.





Une dizaine minutes s'écoulèrent encore, peut-être vingt, sans que nul - ni animal ni homme - ne parut. Les champs lui appartenaient. Léonce retrouvait un peu de sa sérénité. Pourtant, alors qu'il soulageait un besoin naturel contre un buisson de genet, il se sentit observé. En posture délicate, il ne pouvait pas se retourner mais sentait bel et bien le poids d'un regard sur ses épaules.

Sa braguette refermée, il put enfin avoir la confirmation de son impression. Le forgeron Etienne Pech, fusil cassé au bras, l'attendait à quelques mètres.


— Je suis content de te voir, Léonce.


Cette fois, ce fut Léonce qui eut un sursaut.


— Moi... moi aussi... balbutia-t-il, Adieu Etienne.

— Adieu. Tu vas mieux ? l'interrogea le forgeron en désignant la jambe blessée.

Se petaça del tròç...*


Etienne Pech sourit comme on agite un drapeau blanc en signe de paix.


— Comment se passent les semis ? demanda-t-il

— Ecoute Etienne, on se connaît depuis bientôt un an. Bien-sûr on pourrait parler des semis ou du temps qu'il fait ou bien encore du contenu de nos gibecières mais on ne va pas y aller par quatre chemins pour arriver où nos préoccupations se situent actuellement. J'imagine bien que Solange t'a parlé de ce qu'il nous arrive... Et si elle ne l'a pas fait, les trois quarts du village ont du défiler dans ta forge pour te rapporter ce qu'on dit de nous et te plaindre d'avoir lié le destin de ta fille, déjà éprouvée, à une famille telle que la nôtre...


Léonce avait parlé sans s'agacer, simplement comme on livre sans fard le fond de sa pensée. Avec beaucoup d'honnêteté, de calme et de transparence. Autant de franchise déstabilisa un peu son interlocuteur mais il apprécia que Léonce ne fît pas de circonvolutions.


— Je ne vais pas te dire que je n'ai rien entendu. Je ne vais pas te dire que je ne m'inquiète pas Léonce.

— Et d'abord pourquoi tu t'inquièterais ?

— Pour ma fille, pour Henri, pour cet enfant à venir aussi. Il va grandir au milieu de...

— Attention à ce que tu vas dire Etienne !


Il venait de réaliser que sa pensée l'avait amené sur un terrain glissant. Alors il laissa le silence se faire comme pour rattraper ses derniers mots. Mais le silence n'effaça rien...


— Tu nous crois coupables toi-aussi ? Tu crois que l'incendiaire de chez Belloc est l'un d'entre nous ? Qu'il appartient à la maison Bourrel ? Ose le dire ! Si tu le penses, ose le dire !

— Léonce... Tu t'emportes inutilement ! Mais il faut me comprendre...

— Que je comprenne quoi ? Que tu es en train de nous accuser toi-aussi ? Comme les autres ? Que tu te joins à la meute pour aboyer ?

— Léonce, tu vas trop loin !


Le ton d'Etienne Pech avait changé, sa voix s'était faite plus grave et son débit traduisait son agacement.


— Que veux-tu que je te dise ? Que ce bruit court en zigzag comme une** lièvre apeurée ? Et que j'aurais beau tirer dessus, je la manquerai toujours et que rien ne l'arrêtera ? Tu veux savoir pourquoi ? Parce qu'il y aura toujours des couillons pour répéter ces inepties et d'autres imbéciles comme toi pour les croire et les colporter à leur tour.

— Léonce !


Provoqué, Etienne Pech venait de jeter son fusil dans l'herbe et tentait de retirer sa veste comme pour administrer une correction à Léonce.


— Je ne peux pas bien me déplacer mais si tu viens jusqu'à moi, je te la donnerai la mornifla que tu mérites ! le titilla Léonce toujours aussi calme.

— C'est moi qui vais t'emplâtrer ! hurla l'autre dont la voix avait vrillé en une sorte de râle aigu et granuleux sous les effets de la rage qui s'était saisie de lui.


Il ne parvenait toujours pas à enlever sa veste dont une manche s'était mal retournée et faisait un bourrelet au coude qui emprisonnait totalement son bras. Il tirait dessus de toutes ses forces en donnant de grands à-coups mais rien n'y faisait. Sa figure avait viré du rougeaud au cramoisi et la scène de ce pathétique combat de coqs confinait au ridicule le plus absolu. D'autant que Léonce voyant son adversaire inattendu mal parti venait de s'asseoir sur une pierre à proximité.


— Tu as de la chance, Léonce Bourrel... Tu as de la chance, répétait le forgeron qui au plus il luttait avec son vêtement au plus s'emmêlait.

— Il serait temps que ça tourne, depuis le temps qu'on nous appelle les maffrés, ironisait le penseur sur son caillou qui n'avait vu de spectacle aussi drôle depuis fort longtemps. Foi de Léonce.


Au fur et à mesure qu'il s'agitait, Etienne Pech se figeait un peu plus, sa colère même se prenait les pieds dans les manches de sa veste récalcitrante. Ne sachant plus que faire, mains liées par le vêtement, il se précipita soudain sur Léonce, lui donna un coup d'épaule dans la clavicule. Léonce qui n'avait pu se parer de l'impact chuta de la pierre et se retrouva sur le dos dans l'impossibilité de bouger tel un scarabée retourné; d'une part, sa jambe blessée l'empêchait de prendre un appui solide pour se relever et d'autre part, il avait Etienne Pech sur le torse en bien mauvaise posture. Les mains piégées par les manches, il avait désormais un pied coincé dans la poche de sa veste, ce qui rendrait tout mouvement impossible.

Dessous, Léonce gémissait en proie à quelques contusions et à sa jambe dont la douleur pulsatile s'était réveillée. Les chiens qui ne comprenaient guère ce qui se déroulaient devant leurs truffes tournoyaient autour d'eux en jappant. Le silence s'installa ensuite quelques secondes.

Etienne Pech sentit soudain des spasmes secouer le corps de Léonce avant qu'il n'éclatât enfin d'un rire tonitruant provoqué par le ridicule de la situation. Et de plus en plus hilare, il ne parvenait plus du tout à se dégager. Le fou-rire de Léonce fut communicatif et Etienne se mit à pouffer à son tour à tel point que des larmes jaillirent de ses yeux.


— On peut vous aider messieurs ? les interrompit soudain une voix grave.


Les rires stoppèrent net. Relevant la tête, ils aperçurent l'homme éberlué qui de mémoire de garde-champêtre ne se souvenait pas avoir assisté à pareille scène de chasse.


— Non mais ne me dites pas que vous vous battiez ? reprit-il en proposant son aide pour qu'Etienne et Léonce pussent se relever.

— Eh non, dit Léonce en se redressant enfin, nous aurions bien voulu mais n'avons pas réussi...

— Eh non, confirma Etienne. Un véritable échec... L'âge sans doute...

— Ou peut-être le manque d'habitude ?s'interrogea Léonce à haute voix.

— Je peux vous laisser alors ? s'inquiéta l'homme en uniforme. Vous n'allez pas vous y remettre ?

— Soyez tranquille, brave homme, il ne se passera rien, acquiesça Léonce.

— Je vous en saurais gré. Voir une échauffourée pareille en plein campagne n'est pas chose commune... Je vous demande de cesser immédiatement vos enfantillages... Ou je verbalise !

— C'est promis, Monsieur ! dirent-ils dans un même élan en soulevant leurs casquettes avec une simultanéité parfaite.


Le garde-champêtre reprit son chemin. Et se retourna deux ou trois fois pour vérifier qu'ils se tenaient tranquilles.


— Et maintenant ? demanda Léonce.


A suivre...


* ça se répare sur le morceau ( = comme ça peut !)

** occitanisme


Rendez-vous la semaine prochaine pour le dix-neuvième épisode de cette saison 2, intitulé "Frimas et tracas de décembre"


Retrouvez l'ensemble des épisodes parus dans l'onglet "Blog" du site : https://www.bordeperdue.fr/blog


Mercie à Berthe Tissinier pour la photo d'illustration



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